Portrait de MERYL SEPTIER – Ville de Tours – Paroles d’acteurs

Enseignante à l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles, Meryl Septier s’entrevoit en des jardins partagés, pensés avec et pour les habitants.

Publié le 11 septembre 2023

« Ce n’était pas un paysage grandiose, même assez ordinaire, un peu anonyme. » C’est par une involontaire figure de style littéraire – une gradation descendante – que Meryl plante le décor dans lequel elle a grandi, « un
quartier pavillonnaire périurbain » dont elle dévisse, comme une à une, les ampoules du grandiose qu’on voudrait d’ordinaire accrochées à l’enfance. Ou au miroir d’une loge d’actrice tout sauf anonyme. Mais
Meryl n’est pas l’autre Meryl, vue dans Out of Africa l’année de sa naissance en 1986. Et sa commune-
dortoir, Mettray, est elle-même moins connue pour son sentier de la Grotte aux Fées que pour sa « Paternelle »,
bagne pour enfants (fermé en 1937) fondé sur l’utopie qu’entre travail aux champs et cours d’horticulture, la
mauvaise graine s’auto-disciplinerait. À vrai dire, Meryl ne recherche pas la lumière ; elle aurait préféré, plutôt
qu’un portrait d’elle, rester dans l’ombre jusqu’à l’extinction des feux.

C’est pas Versailles ici…

Cette précision faite, dans cette France périphérique, des « invisibles de la République », Meryl s’entrevoit autrement que dans le rétroviseur au moment d’y doubler des poids lourds en transit. Chez elle, la
RN10 des premiers restos routiers à l’américaine s’empruntait le plus souvent en sens inverse des vacances
ensoleillées : direction « la banlieue sud de Paris où vivaient [ses] grands-parents employés à l’usine Renault de
Billancourt »
. Leur paysage tranchait avec celui du Boischaut Sud (entre Indre et Cher) de ses autres grands-
parents. Attachée à l’arrière de la voiture, Meryl l’était à ces trajets vers ceux qu’elle aime, « entre un territoire
très rural et plutôt modeste, boisé, dont les bocages sont relativement préservés, et un milieu très urbain,
résidentiel, entre zones commerciales et grosses infrastructures ».


Ainsi liée aux « endroits les plus délaissés, les plus abîmés » qu’elle traversait, elle sait faire apparaître
sur le temps long « le beau dans ce qui paraît laid » et, par son empathie, déboussole « les imaginaires
délétères » imposant qu’il ne peut y avoir d’élégies dans autre chose qu’une peinture classique du
XVIIIe siècle ou le vers parfait du poète « fuyant les chagrins de la ville ». Avant Boileau, un paysage,
c’est d’abord « partout où il pleut, sans hiérarchie entre celui qui mérite d’être bien traité et celui que l’on peut
transformer sans aucun soin ».

« Le besoin de toucher la terre est réel »

La passion d’un père, ardent défenseur de cet art populaire qu’est la bande dessinée, l’inclina à dessiner.
Regard baissé sur ses feuilles comme l’artiste botaniste Liliana Motta sur ses « jardins modestes », Meryl ne
concevait pas des paysages, « c’est de l’humain que je mettais dans les cases ». Restait à trouver le sentier
qui la sortirait de sa bulle « pour travailler dehors et être utile ». [Ampoule dessinée] Eurêka ! Les arts
appliqués seront sa voie royale. Après un BTS design d’espace à Paris (Ensaama1 – Olivier de Serres), elle
entre à l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles, jadis école royale d’horticulture d’où l’architecte-paysagiste Eugène Bühler étudia (au contraire de son frère Denis, tout aussi connu). On lui doit le parc des
Prébendes d’Oé (1871), conforme « au caractère indiscipliné des sociétés modernes, avec leur goût pour le
changement, avec leurs aspirations profondes »
 (dixit Arthur Mangin). On ne sait quelle fée sortie de
sa grotte s’est penchée sur leurs berceaux mais si Denis Bühler est né à Lausanne, Eugène et Meryl
sont tous deux nés à Clamart ! Le parallélisme des formes s’arrête ici. Diplômée en 2011, cette dernière
met son savoir-faire au service, non d’une clientèle de province soucieuse d’affirmer sa réussite sociale, mais
d’une population sans prébendes pour qui louer une parcelle dans un jardin familial tient du rêve. Or,
pour la paysagiste, admiratrice de la vie paysanne, travailler la terre relève d’un « bien-être » de première
nécessité.

Ce qui nous réunit

Au sein de Chifoumi, collectif de paysagistes concepteurs indépendants, elle œuvre en région
parisienne, à Stains, à Sevran, sur des aménagements participatifs et écologiques dans des espaces
publics conçus collectivement avec et pour les habitants. La rencontre d’Ida Tesla et de l’association Pih-
Poh, enracine son atelier Sè.Me (SCOP Artefacts) et sa légitimité à intervenir à partir de 2015 dans
les quartiers populaires de Tours :

« Nous avions des outils et des disciplines différents (Pih-Poh est une compagnie de théâtre, Ida est metteure en scène) mais un sujet commun : les lieux de la vie quotidienne ». Et, si Eugène était indissociable de Denis, Meryl l’est à présent d’Aurélie (Thomas), habitante du Sanitas à l’origine du « Planitas », en bordure du jardin Theuriet où depuis 2016 elles développent un savoir-faire collectif autour d’une activité vivrière : les Incroyables Comestibles.

« Ce qui me réjouit quand je retourne dans des espaces où j’ai travaillé, c’est que la vie y soit foisonnante :
vie végétale, animale, humaine. C’est d’avoir un peu réussi à desserrer la ceinture »
, comme celle qui la
retenait de voir mieux défiler le « beau » paysage, « cet endroit où le ciel et la terre se touchent » 2.
Elle n’est pas là, dit-elle, « pour laisser une trace individuelle » ; ses « utopies rustiques » sont pavées
d’autres choses que de ses seules intentions. Plus de « vingt fois sur le métier » 3 elle remet humblement son
ouvrage pour que, en une gradation ascendante cette fois, une esquisse, des échanges, des chantiers infinis
inondent de soleil des visages anonymes.

Texte : Benoit Piraudeau


1 École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art
2 « Le paysage, c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent », Michel Corajoud, architecte-paysagiste (éd. Actes Sud)
3 « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », in L’Art poétique, Nicolas Boileau

Les coopérataires associés

Sè.Me paysages – Meryl Septier

Métier : paysagiste conceptrice et jardinière

  • Aménagement urbain
  • Design
  • Nature et environnement

Meryl Septier est paysagiste conceptrice indépendante, diplômée de l’école nationale supérieure des arts appliqués et des métiers…